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Stupéfiant
5 décembre 2007

La création du besoin

Je ne connaissais rien au marketing. J'étais même fermé à ce monde peuplé d'une espèce pour laquelle j'ai à peine plus d'estime que pour les publicitaires, le zéro absolu sur mon échelle des personnes utiles. J'y suis arrivé parce que mon esprit scientifique me pousse à comprendre les choses que je vois. Certains partent de l'ensemble pour arriver au détail, je suis parti du détail pour arriver à l'ensemble : de la technologie au produit, un jeu d'assemblage. La curiosité ne suffit pas, il faut tout de même un minimum de formation.

J'ai eu l'occasion de suivre des sessions de formation dispensées par une personne reconnue dans le domaine du marketing et tout spécialement du "cybermarketing". En deux jours, difficile de dispenser une formation complète sur le marketing, et pourtant, il y parvient. Pas en profondeur, mission impossible quand on sait qu'une majeure de marketing en école de commerce doit peser autour de 400 heures d'enseignement, mais au moins en aperçu, avec quelques outils clés pour bien commencer. Pour amorcer la session de formation, le formateur demande aux élèves de lister des mots connexes au sujet du marketing. Le mot le plus important qu'il ressort de la liste est le mot "besoin". Le produit nait du besoin, pas l'inverse. Il existe trois types de besoins : le besoin basique (dont on ne peut se passer), le besoin exprimé (on peut s'en passer, mais on est conscient de ce besoin) et le besoin latent (on n'a pas conscience de ce besoin, mais on finit par l'exprimer suite à une session de questions/réponses par exemple). Le formateur s'empresse d'ajouter que "les mauvaises langues diront qu'il y a le besoin créé, créé par le sournois marketeur mais qu'en réalité il n'en est rien." Bref, tenez le pour dit "il n'y a pas de besoin créé".

Je suis d'accord avec lui si on précise qu'il n'y a pas de besoin directement créé. Indirectement, c'est autre chose. Je ne crois pas que le besoin d'avoir du push mail ait été exprimé - ou même latent - il y a, disons, vingt ans. Facile : l'usage du mail était quasi nul, tout comme la téléphonie en situation de mobilité. Pourtant, le push mail est là. C'est l'enchaînement des cycles de progrès qui ont apporté le besoin du push mail. Le courrier est arrivé, puis le télégraphe, puis le téléphone, puis le fax. Le mail a remplacé le fax, puis le mobile a remplacé le téléphone avec le SMS, alors les utilisateurs ont commencé à ressentir le besoin d'avoir leurs mails sur leur mobile, et la réponse au besoin fut : le push mail. Mais jamais l'utilisateur du télégraphe n'a pu avoir envie du mail mobile, même de manière latente.

Le besoin naît du constat d'un manque dans un environnement technologique donné, pas dans l'absolu. Cet environnement technologique est la conséquence constante du progrès, le progrès étant la réponse au besoin exprimé dans l'environnement technologique précédant, lui-même étant la réponse... Vous comprenez alors où je veux en venir : s'il n'y a pas de besoin directement créé, il existe en revanche un besoin indirectement créé. C'est la généralisation de l'usage du mail et du mobile qui a créé le besoin du push mail. Le progrès est alors autant générateur de réponses à des manques que créateur de frustrations par ses limitations à un moment donné, frustrations qu'il faut alors combler par un nouveau progrès. Cette alternance est auto-entretenue dans un mouvement perpétuel.

Pourtant, je ne peux m'empêcher de me poser des questions. "Le progrès technologique est-il sans fin, aura-t-il une limite ?" Toutes les réponses sont envisageables. En l'état actuel des connaissances, la réponses serait "oui". Le progrès est lié à la miniaturisation, et cette miniaturisation a une limite : celle de la particule élémentaire. Mais cette limite ne dépend que de l'état actuel de nos connaissances. Ce qui nous semble être une particule élémentaire aujourd'hui se révèlera peut-être composite demain, repoussant alors les limites théoriques de la miniaturisation. Mais seule un foi scientiste absolue permet de penser que le progrès n'a pas de limite. La seule réponse vraie, c'est qu'il n'y a pas de réponse.

"Le progrès technologique est-il une fin en soi ?" Dans l'immédiat, oui : il répond à un besoin. Dans l'absolu, la réponse est plus nuancé. Le progrès contribue à l'amélioration de la qualité de vie, à l'allongement de la durée de vie, c'est indéniable. Pourtant, je n'ai pas l'impression de vivre mieux que mes ancêtres, d'être plus heureux qu'eux. Mon Blackberry me permet d'avoir les derniers mails immédiatement, mais je suis de plus en plus dépendant, sur le qui-vive. A quoi servent les évolutions technologiques si elles ne nous rendent pas plus heureux ? Quel est le sens d'une innovation technologique dont la seule mise en oeuvre engendre une pollution telle qu'elle annihile les bienfaits qu'elle apporte ?

Nous avons atteint un âge d'or du "progrès pour le progrès", place au "progrès durable" : un progrès dont le bilan global serait positif et dont les bienfaits libèrent plus qu'ils n'asservissent.

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